Je m’appelle Camille. Et je mens. Pas par vice. Pas toujours. Plutôt par goût. Le mensonge est une langue à part entière. Une invitation. Une clé.
Je suis rousse le mardi, veuve le jeudi, inspectrice des impôts le dimanche. À l’église, je fais semblant de croire. Au lit, je fais semblant de ne pas jouir. Sauf quand je ne fais pas semblant.
Le jeu de rôle est ma vérité.
Je l’ai rencontré dans un TER, un mercredi matin, entre Angers et Le Mans. Il lisait Le Monde diplomatique. Moi, j’avais un serre-tête rose et un chewing-gum à la fraise.
« Vous aimez les uniformes ? » j’ai demandé.
Il m’a regardé. Lentement. Interloqué. Puis il a souri. Lentement aussi.
« Lesquels ? »
« Tous. Mais surtout ceux qu’on ne porte qu’une fois. »
Il m’a suivie. Dans les toilettes du train. Je portais un porte-jarretelles. J’avais vingt-huit ans ce jour-là. Ou trente-sept. Je ne sais plus.
Je l’ai embrassé avec désir. Puis je lui ai glissé à l’oreille :
« Je suis la proviseure du lycée de votre fils. Et il y a un problème. Un gros. »
Il n’a pas parlé. Il a joué.
On s’est revus. Dans des chambres d’hôtel sans charme, des parkings souterrains, des salles de conférence désertées. Je devenais chaque fois une autre. Infirmière sadique. Contrôleuse SNCF revancharde. Princesse arabe vendue en secret.
Il n’était jamais le même non plus. Prêtre. Policier. Chauffeur. Camé.
Un jour, j’ai été un garçon. Juste pour voir. Il a adoré.
Un autre jour, j’étais muette. Il a tout deviné.
Puis je suis devenue plus cruelle. Je lui ai dit que j’étais sa mère. Ou sa fille. Il a gémi. Longtemps.
Je ne sais pas ce qu’on cherchait. Peut-être la limite du fantasme. Peut-être la nôtre.
Un soir, je suis venue habillée en bonne soeur. Sous la robe, rien. Dans la bouche, un rosaire. Je l’ai fait s’agenouiller. Je l’ai frappé avec mes mots. Avec mes mains aussi.
Puis j’ai ouvert les bras. Et il est entré en moi comme on entre en religion.
J’ai vu Dieu. Il avait sa bouche.Parfois, j’avais peur. Que le rôle m’avale. Que je ne sache plus qui j’étais. Mais chaque fois que je glissais dans une peau nouvelle, je me sentais plus vivante. Plus réelle.
Il m’a demandé une fois : « Qui es-tu vraiment ? »
J’ai répondu : « Celle que tu veux ce soir. Mais demain… laisse-moi choisir. »
Il a accepté.La dernière fois, j’ai été une statue de cire dans un musée privé. Nue. Peinte d’argent. Immobile pendant deux heures. Il est venu. Il m’a contemplé. Touché. Écarté.
Je n’ai pas bougé. Pas même quand il m’a prise.
J’ai joui en silence. Puis je me suis évanouie.
Quand je me suis réveillée, j’étais une autre.Je ne suis pas actrice. Je suis toutes mes vies. Et aucun rôle n’est faux, tant qu’on y croit ensemble.
Tu veux jouer ? Appelle-moi demain.
Je serai peut-être ton juge. Ou ta chienne. Ou ton ombre.
Mais jamais la même.
Jamais deux fois.